Vie de Napoléon de Chateaubriand

Vie de Napoléon de Chateaubriand Vie de Napoléon de Chateaubriandpréface de Marc Fumaroli Faire offre "Après Napoléon, néant : on ne voit venir ni empire, ni religion, ni barbares. La civilisation est montée à son plus haut point, mais civilisation matérielle, inféconde, qui ne peut plus rien produire, car on ne saurait donner la vie que par la morale. On n'arrive à la création des peuples que par les routes du ciel, les chemins de fer nous conduisent seulement avec plus de rapidité à l'abîme."Aucun bonapartiste n'a jamais osé écrire cela. Le bonapartisme est un culte rétrospectif de la personnalité. Il n'a d'horizon ni métaphysique, ni poétique. Or Chateaubriand, poète de Napoléon, est aussi son ennemi métaphysique. Il le restera toujours, même quand il écrit ces phrases trompeusement nostalgiques, dans la "Vita Napoleonis" en six livres qui a surgi au beau milieu de ses Mémoires vers 1840.On peut publier ces six livres en les séparant des Mémoires. Ils forment un tout qui se suffit à lui-même. C'est à la fois le chef-d'oeuvre de l'épopée romantique, et l'histoire la plus critique du cyclone Napoléon. Seul un poète métaphysicien a été à la hauteur de celui qu'il qualifie, prenant rétrospectivement son parti contre les trahisons de Talleyrand, d' "un des plus grands hommes de l'histoire ".A l'origine de ce livre, il y a un drame : ce drame, c'est celui d'une France dont l'acte révolutionnaire aura coûté au pays sa dimension et sa religiosité. En mettant fin à la monarchie, notre pays s'est amputé de son histoire, de son honneur et de sa place dans l'Europe. Lorsque arrive Napoléon, Chateaubriand voit en lui celui qui aurait pu être un nouveau roi, mais qui a préféré trahir et l'idéal révolutionnaire, et l'idéal monarchique.C'est que Napoléon, sous la plume de Chateaubriand, apparaît certes comme un géant dans un monde de nains, mais surtout comme un parvenu, un homme sans honneur, sans amour de la France, uniquement motivé par son appétit du pouvoir, par son goût de la destruction, par son souci d'humilier et de faire plier les autres devant sa force.Destins parallèles ? En contant la vie de Napoléon, Chateaubriand nous parle de la sienne : alors que le tyran étend son joug sur l'Europe, le poète et royaliste tente de le déstabiliser. Lorsque la restauration aura lieu, Chateaubriand est là, au côté de Louis XVIII et semble observer un Napoléon qui, sans trop lui accorder d'intérêt, connaît son nom et son importance.Et Chateaubriand ? S'il honnit Napoléon, il lui rend aussi justice : ainsi en va-t-il dans ses Mémoires de deux mouvements : la gloire de Napoléon, Chateaubriand la condamne ; sa descente aux enfers, il la soutient. C'est que pour le poète, l'honneur n'est pas un vain mot : on ne soutient pas un jour un homme que l'on conspue le lendemain. Contre les sycophantes, Chateaubriand fait le choix de l'objectivité et de l'honnêteté intellectuelle. La figure de Napoléon, il lui dénie le génie de l'antiquité, mais lui reconnaît un génie de la modernité, mais sans aucune assise morale. C'est donc en moraliste qu'il en fait le récit.Servi par une écriture magnifique, enivrante de beauté, de sensualité, de poésie et d'amour, Chateaubriand conte une destinée de héros maudit ; en fait le panégyrique, comme la critique ; et, par la même occasion, se raconte sur le chemin, et trace le récit de la fin d'un monde, de la perte du sacré dans la France, condamnée à n'être plus rien qu'un ersatz de nation. Un ouvrage extraordinaire dont on ressort ivre de mots. De plus, le récit de l'amour contrarié entre Napoléon et la France reste d'une surprenante actualité.

0 commentaires:

Enregistrer un commentaire